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Revista Universitaria de Geografía

versión On-line ISSN 1852-4265

Rev. Univ. geogr. vol.19 no.1 Bahía Blanca  2010

 

Du "veau corse" au "veau de Corse": des qualifications façonnées par des changements territoriaux

Marcelo Champredonde* - François Casabianca** - Jean-Antoine Prost**

* INTA Bordenave, Argentina, mchampredonde@correo.inta.gov.ar
** INRA-SAD LRDE, Corte, Francia

Resumen
La valorización de productos agroalimentarios por su origen geográfico se basa fundamentalmente en demostrar su tipicidad. ésta, es producto de la estrecha relación entre el producto y el medio geográfico, el cual comprende tanto los aspectos naturales como humanos. Desde ese punto de vista, el Sistema Agroalimentario Localizado (SIAL)1 del ternero corso constituye un caso interesante, en la medida que encontramos en el mercado local, carnes con calidades muy variadas y todas ellas comercializadas bajo la denominación de "ternero corso". En todos los casos se trata de vacunos faenados en Córcega y a edades tempranas.
Una crónica de la evolución de este Sistema Agroalimentario permite analizar las dinámicas territoriales y sus consecuencias sobre el SIAL del ternero corso. En él coexisten un cierto número de productos, que provienen de distintos sistemas de producción. Esta situación no es necesariamente favorable para el desarrollo equilibrado de este Sistema Agroalimentario.

Palabras claves: Cambios territoriales; Diversidad; Calificación; Reconstrucción de la tipicidad.

Résumé
La valorisation des produits agroalimentaires par leur origine géographique est basée notamment sur leur typicité. La typicité résulte d'un rapport l'étroit entre le produit et leur environnement. Ce dernier comprend à la fois les aspects naturels et humains. Dans cette perspective, le système SYAL du veau corse resulte un cas intéressant, dans la mesure où l'on trouve sur le marché local des viandes dont la qualité est très variée, toutes commercialisées sous la dénomination "veau corse". Dans tous les cas, ces bovins ont été abattus en Corse depuis son plus jeune âge. Une analyse de l'évolution de ce Système Agroalimentaire permet d'analyser les mutations territoriales locales et son impact sur le Système Agroalimentaire Localisé (SYAL) du veau corse. Il est caractérisé par la coexistence d'un certain nombre de produits provenant de différents systèmes de production. Cette
situation n'est pas nécessairement propice au développement équilibré de ce système agroalimentaire.

Mots-clés: Changements territoriaux; Diversité; Qualification; Reconstruction de typicité.

Introduction

Comme dans d'autres régions à fortes contraintes, la production de produits "de qualité" en Corse est souvent présentée comme un moyen de mieux rentabiliser des exploitations à faible niveau de production. La réglementation permet de prendre en compte l'origine de ces produits et de mettre ainsi en valeur des races locales, capables de fournir une matière première originale, des systèmes de production ou des savoirs traditionnels. Autant d'atouts potentiellement mobilisables pour différencier un produit et, partant, développer les activités qui lui sont liées.

Aujourd'hui, différents acteurs des filières de production bovine de Corse cherchent ainsi à valoriser l'origine de leurs produits. D'autres, les soupçonnent cependant de chercher à s'approprier ce qui serait l'image spécifique du produit veau corse pour mettre sur le marché des produits qui ont, en fait, les seules qualités de ce qu'ils sont capables d'offrir. Nous trouvons, par exemple, des offres commerciales de "veau corse" pour des produits de pure race charolaise ou limousine.

De fait, on peut légitimement s'interroger sur la dénomination veau corse, et sur la façon dont les différentes qualifications de ce produit local ont été construites historiquement. L'objet du présent travail est d'étudier les interrelations entre les différentes composantes de ce processus local, à savoir:

-  d'abord, des changements territoriaux, tels que la reconfiguration démographique de la population corse, le développement des réseaux routiers, le développement du tourisme, l'arrivée massive de migrants provenant des anciennes colonies, d'origine maghrébine principalement;

-  ensuite, et parallèlement à ces changements territoriaux, on constate également des changements institutionnels, entraînant ou non des modifications des politiques agricoles nationale et régionale;

-  enfin, des évolutions au niveau des systèmes productifs et du rôle de l'élevage au sein des exploitations. Ainsi, des évolutions telles que la sédentarisation de l'élevage de bovins ou leur orientation vers la production de viande, sont à l'origine de l'évolution profonde des profils génétiques des troupeaux insulaires de bovins.

Nous nous proposons d'analyser l'impact de l'ensemble de ces changements territoriaux sur la configuration de la filière. Il s'agit d'identifier aussi bien la réorientation des acteurs présents dans la filière que l'émergence de nouveaux acteurs et leurs conséquences sur la fragmentation des marchés, voire sur la reconfiguration des réseaux commerciaux. Ensuite, nous tenterons de mettre en relief les caractéristiques des actions collectives développés à l'intérieur de la filière (voire leur absence).

Finalement, il s'agit d'éclairer les évolutions de la perception de la qualité des viandes bovines en Corse et les conséquences de cette évolution sur celle de la définition du veau corse. On peut ainsi approcher la diversité des définitions des qualités entre ce que l'on dénomme aujourd'hui un veau corse ou un veau de Corse comme la coexistence de produits dont les définitions respectives ont été construites à différentes époques de l'histoire de l'Île.

Cela étant, les étapes qui se succèdent ne se remplacent pas, elles coexistent. Les différentes définitions de la qualité du produit coexistent aussi et réclament chacune une forme de légitimité. Par contre, se pose alors la question de la définition d'un produit typique unique et de l'"instrumentalisation" des autres dans la construction d'éventuels signes officiels de qualité liés à l'origine.

Dans notre réflexion nous nous appuyons sur la définition de typicité territoriale présentée par Casabianca et Sylvander (2005)

"La typicité d'un produit issu de l'agriculture est la propriété d'appartenance à un type, basée sur des savoirs [de reconnaissance] et construite sur les spécificités du type. Elle exprime également une propriété de distinction de sa catégorie par rapport aux produits similaires ou comparables, qui fonde l'identité du type ... Ces propriétés d'appartenance et de distinction sont décrites par un ensemble de caractéristiques de natures diverses (techniques, sociales, culturelles...) repérées et révisées par un groupe humain de référence ... Parmi les multiples expressions de la typicité, la typicité liée au terroir est une construction particulière qui concrétise l'effet du terroir pour un produit donné." (Casabianca et Sylvander, 2005: 10).

Le fait que la typicité d'un produit résulte d'un processus d'accords, développés par des membres d'un groupe humain de référence, nous amène à la considérer en termes de reconstruction. C'est ce qui de Sainte Marie (1995: 195) définit en termes de "passage de la qualité héritée à la qualité construite". En effet, on reconstruit par des accords, le produit ayant "une" qualité spécifique. Notons que la reconstruction de la qualité spécifique concerne aussi bien les variables objectivables que subjectives (Champredonde y Muchnik, 2010: 1). Ainsi, normalement la population locale devrait reconnaître cette qualité spécifique comme une de ces références identitaires. Il se posse alors la question de la composition du groupe humain mobilisé par le projet et de la qualité spécifique que ce groupe humain peut reconstruire en fonction de ses propres représentations et de ses convenances.

Une révision de la chronique historique, comprenant la période 1860-2004, nous permet d'analyser la question de la typicité des produits issus de l'élevage de bovins en Corse. Elle a été effectuée en mobilisant, d'une part, les sources bibliographiques disponibles sur l'histoire du monde rural corse, des évolutions démographiques et sociales et, plus généralement, de l'économie insulaire. D'autre part, nous avons réalisé un certain nombre d'entretiens semi-directifs auprès d'anciens éleveurs, de négociants en bestiaux et de bouchers, témoins de l'évolution de cette filière entre l'après guerre et aujourd'hui.

1860 - 1973 : La Viande Bovine, sous-produit des Exploitations de Poly-Activité

A partir du milieu du XIXème siècle, les genres de vie traditionnels rencontrés en Corse, fondés sur la culture des céréales et l'exploitation des petits ruminants vont lentement évoluer vers leur disparition. Ces systèmes, dont Blanchard (1914) montre bien l'adaptation passée aux conditions insulaires, vont ainsi générer des formes particulières d'exploitation du milieu et de spécialisation. Ainsi, la production de viande bovine semble être un avatar de l'histoire agricole de l'Île.

Cela étant, les deux grandes guerres vont imposer de revenir à des formes de gestion vivrière du territoire et de renouer avec des pratiques, anciennes mais toujours présentes dans la mémoire collective, qui pouvaient laisser croire à un renouveau de l'agriculture traditionnelle.

Le trait le plus important de l'évolution territoriale dans cette période reste la confirmation des tendances démographiques constatées dans la fin du XIXème siècle: l'exode rural et la migration des corses, la diminution des activités agricoles et d'élevage. Parallèlement, deux grands facteurs vont influencer cette évolution: d'une part, l'apparition et le développement du tourisme et, d'autre part, des changements dans les habitudes alimentaires de la population locale.

1860 - 1960. Un développement de l'élevage bovin consécutif à l'abandon de la céréaliculture vivrière

Le type d'agriculture prédominant en Corse jusqu'à la Première Guerre Mondiale présente les traits des petites communautés rurales montagnardes qui continuent d'être pratiquement autarciques (Ravis- Giordani, 1983) en s'appuyant sur des productions vivrières. Ainsi, dans chaque communauté insulaire, les activités agricoles sont organisées de façon concentrique autour des villages:

"...Une première couronne du village comprenait les jardins, les vignes, les oliviers, les châtaigniers ... Une seconde couronne plus à l'écart et se situant sur la partie du territoire communal la plus propice à la culture (fonds de vallées et plaines littorales), ... Enfin, la troisième couronne, le "forestu", comprenait les terres incultivables où étaient refoulés les bestiaux de la communauté ..." (Vercherand, 1989: 2).

En ce qui concerne les activités d'élevage, les techniques ancestrales continuent d'être reproduites. L'alimentation des animaux est basée sur la gestion des ressources naturelles disponibles, déterminée par les saisons et par les conditions orographiques et gérées par les éleveurs à travers la pratique de la transhumance. Cette pratique est notamment le fait des éleveurs de petits ruminants. Ceux qui possèdent aussi quelques bovins dans leur effectif animal sont obligés de les amener avec eux dans chaque translation2.

La transhumance était une pratique fortement déterminée par les conditions géographiques et l'implantation du siège des exploitations. Dans le cas des éleveurs de bovins habitant entre 400 et 700 mètres, la transhumance ne se justifie pas. Faisant référence aux années de "l'entre-deux-guerres", une éleveuse du Boziu nous disait:

"Dans nos villages on ne faisait pas la transhumance. Les vaches restaient un peu plus bas en hiver et elles montaient tout seules à la montagne en été (juin). C'est tellement prêt qu'il n'était pas la peine de transhumer. De la maison à la montagne, il fallait à peu près une heure de marche3"4. Concernant le rapport homme-vache, cette éleveuse remémorait: "Avant les vaches étaient plus en contact avec les gens. De fois, elles étaient dans la caves et les gens au dessus. ... Elles étaient dociles car en hiver, tous les soirs, on les attachait. Elles avaient la mangeoire, donc on leur donnait du foin (produit localement ou acheté à la plaine) et le matin, ils les relâchaient. Même le taureau. En été, je me rappelle, mon grand-père montait tôt le matin voir ses vaches, même à la montagne."5.

Même si on complétait la ration avec un peu de foin, le processus productif des bovins était déterminé par le rythme imposée par la nature: "Les vaches prenaient le taureau à la montagne quand il y avait de la nourriture (c'est à dire au printemps) ... Et elles faisaient toutes le veau à peu près dans la même saison (donc en hiver)"6.

En fait, à partir de la décennie 1880, on va constater une évolution des systèmes productifs locaux avec une diminution simultanée aussi bien du nombre d'agriculteurs et des terres emblavées, que des bergers, des pâturages et des effectifs ovins, caprins, porcins et bovins.

Une nouvelle fonction au sein des exploitations agricoles corses : la production de viande

Jusqu'après la Deuxième Guerre Mondiale, l'élevage des bovins ne constituera pas vraiment une activité productive en soi. En effet, l'orientation principale de cette filière est l'approvisionnement en force de travail de l'agriculture locale. Cependant, des phénomènes externes à cette activité productive vont déterminer une réorientation de leur fonction au sein des exploitations agricoles. Ainsi, l'élevage bovin corse, avec la disparition de la céréaliculture insulaire, et donc de la traction animale, a changé de fonction. Il deviendra progressivement un élevage allaitant, c'est à dire de troupeaux de vaches mères produisant de la viande de veaux "broutards" et de quelques animaux de reforme. La production laitière ne revêt pas une grande importance. De fait, "il n'existe que 3 000 vaches laitières7, rarement groupées en élevages spécialisées, mais surtout disséminées entre les mains des petits exploitants qui n'en détiennent que trois ou quatre, parfois une seule" (Renucci, 1974: 209).

Ce changement de fonction n'implique pas de vrais changements dans la structure des troupeaux. Les bovins continuent à être des sous-produits dans les exploitations poly-actives. Une grande partie des producteurs corses ne comptent que de 4 à 8 ou 9 vaches et un taureau dans leur troupeau. Le renouvellement du taureau est effectué tout les trois ou quatre ans, la plupart du temps avec un veau du même troupeau ; c'est à dire qu'on ne constate pas de vrais changements au niveau de la génétique des troupeaux de bovins corses. Celle-ci semble caractérisée par la prédominance de bétail descendant d'une branche de la Brune de l'Atlas. Les caractéristiques principales de ces bovins sont : faible poids vif adulte et hauteur au garrot, tête fine et allongée, cornes petites et en croissant. Concernant la robe, on constate une grande variabilité de patrons colorés, avec prédominance de la robe nera (noire) et l'emblématique bracata (bringée) 8.

La vache corse est rustique, résultat d'une sélection naturelle des bovins adaptés aux forts aléas de l'offre fourragère, conséquence du climat méditerranéen et de la prédominance de terrains montagneux. Cette adaptation implique aussi une sélection naturelle des vaches ayant une grande facilité de vêlage.

Même si la population bovine locale reste largement dominante, on constate aussi à partir de cette époque le début de l'importation dans l'Île de bovins "améliorateurs". Des croisements avec des races plus musclées s'amorcent dans le but d'obtenir des bœufs de trait plus puissants. De même pour l'amélioration du rendement en carcasse des bovins abattus 9:

"Maints éleveurs ont voulu introduire dans l'Île des vaches adultes des races les plus diverses: franc-comtoise, tachetée de l'Est, bretonne, salers, brune des Alpes, toscane, normande, flamande, etc ..." (Carlotti, 1936: 135). Néanmoins, les résultats ne sont pas toujours encourageants: "Traités de la même façon que les vaches de la race locale, ces animaux ne purent conserver leurs qualités ni même leur productivité; leurs descendants entrèrent rapidement en variation désordonnée et ne présentèrent qu'une faible supériorité sur les autochtones" (Carlotti, 1936: 135).

Cette faible réponse à l'"amélioration génétique" par les croisements décourage cette pratique dans la plus grande partie des zones montagneuses. Nous trouvons ici une des premières différenciations avec les élevages de la plaine. En effet, ces derniers constatent, eux, des réponses plus intéressantes que leurs pairs de la montagne. Néanmoins, à cette époque, le degré d'incorporation de génétique "amélioratrice" reste limité par la transhumance, lorsqu'elle est encore pratiquée.

Nous sommes cependant à la genèse d'une différenciation, au sein de la filière des viandes bovines en Corse, entre les élevages situés en plaine et ceux de la montagne. Cela concerne les stratégies des éleveurs face à l'adaptation simultanée des bovins au milieu de production et aux marchés. La demande n'est plus seulement (et même, de moins en moins) celle de la fourniture de bœufs de trait, mais aussi celle de viande pour la consommation de la population locale.

Cette différenciation plaine-montagne ne restera pas limitée au domaine de l'élevage. Les importants changements territoriaux en cours vont déterminer aussi des divergences à l'aval de cette filière.

La consommation de viande: importée à la plaine et locale à la montagne

Concernant la filière bovine, les changements dans le mode de vie de la population locale se manifestent par une importante augmentation de la consommation des viande bovines fraîches10. En 1936, Carlotti affirme:

"La consommation de la viande a nettement augmenté en Corse pendant ces dix dernières années. Cette augmentation est sensible non seulement dans les villes où elle peut être facilement chiffrée, mais aussi dans les communes rurales et les campagnes où une véritable évolution a lieu concernant la nourriture. Presque toutes les familles consomment actuellement de la viande fraîche de bœuf11, plus au moins régulièrement ...Cette consommation (est) peu marquée pendant la saison d'hiver ..." (Carlotti, 1936: 145).

L'augmentation de la population habitant dans les principaux centres du littoral va renforcer cette tendance à l'augmentation de la consommation de viande bovine. L'importation de bovins sur pied destinés à l'abattage est croissante. Ainsi,

"L'élevage est de plus en plus concurrencé par le bétail des continents français et africains, amené par bateau à bas prix et d'une manière continue" (Carlotti, 1936: 136). En même temps, les "veaux de provenance du continent, appartenant aux meilleures races, fournissent très souvent de la viande de première qualité" (Carlotti, 1936: 146).

Cela étant, dans la dynamique de filière, des différences importantes vont apparaître entre les zones littorales et les zones de montagne. Ces différences se manifestent aussi bien dans la configuration des réseaux commerciaux qui fournissent ces deux "marchés" que dans les caractéristiques des produits fournis sur chacun d'eux:

a) Les centres urbains les plus importants de l'Ile constituent la destination privilégiée des viandes bovines importées. Les circuits commerciaux sont constitués, à l'amont, par des grossistes importateurs et, en aval, par les boucheries des villes (Bastia, Ajaccio, Porto-Vecchio, Bonifacio, Sartène) et des établissements comme le pénitencier de Casabianda ou les nombreuses casernes situées, notamment, sur le littoral (Solenzara, Bonifacio, Propriano, Calvi) et même Corté. L'acteur-clé de ces circuits commerciaux est le grossiste-importateur. Ayant le siège de son entreprise à Bastia ou à Ajaccio, il se charge d'acheter les bovins (bœufs et veaux) sur les grands marchés du continent (par exemple, celui de Lyon12). On comprend mieux alors pourquoi les deux grands abattoirs municipaux existant à cette époque en Corse sont situés à Ajaccio et à Bastia, tout près du port.

Ces achats effectués sur le continent, ou éventuellement dans les pays du Maghreb, sont complétés par l'achat des bovins provenant de Corse. Néanmoins, la place occupée par les viandes bovines corses dépasse rarement 10 à 20 % du volume total commercialisé13.

Dans les grands et moyens centres urbains (Corté, Saint-Florent, Ile-Rousse, etc...), on trouve aussi des bouchers pour qui la vente de viande, notamment de veau, produite en Corse, occupe une place importante. Dans la plupart des cas, ces bouchers sont également éleveurs, ce qui leur permet d'abattre aussi bien leurs propres veaux que ceux qui sont achetés. Le fait d'avoir une exploitation leurs permet aussi de profiter d'opportunités commerciales telles que l'achat de veaux à engraisser. Ils se comportent ainsi comme des "maquignons"14. Ces éleveurs peuvent aussi compléter leur offre avec des viandes importées, notamment dans les périodes, telle l'hiver, où l'offre locale diminue.

b) Les circuits commerciaux confinés dans les cantons des zones rurales. Ces sous-filières sont animées par des bouchers et des éleveurs-bouchers. La plus grande partie des viandes vendues par ces derniers proviennent de bovins produits localement. Une des caractéristiques les plus importantes de la dynamique de ces acteurs est que leur mobilité spatiale tend à compenser, à la fois, l'insuffisance de l'offre locale de bovins et la dispersion géographique - comme la faible mobilité - des clients. Ainsi, depuis les premières années de l'"après-guerre", ces bouchers sont contraints de parcourir les chemins étroits et les pistes avec leurs bétaillères pour se procurer des veaux (et éventuellement des taurillons, des génisses ou des vaches reformées), lesquels "sont abattus l'été dans les tueries des villages" (Carlotti, 1936: 276). Le lendemain de l'abattage (effectué, dans la grande majorité des cas, le vendredi) ces bouchers, devenus ambulants, visitent les petits villages du canton en vendant leurs viandes.

Les contraintes principales imposées à ces bouchers sont, d'une part, une offre saisonnière de veaux15 et, d'autre part, des qualités de viande spécifiques, dorénavant exigées par les petits hôtels, nouvellement installés dans l'intérieur de l'Île et soucieux de satisfaire la demande des touristes16. C'est ainsi qu'ils sont amenés à compléter leur offre avec des viandes provenant du continent et fournies par les grossistes. Ce phénomène est principalement important en été17.

A partir des éléments exposés précédemment, on peut déjà différencier les qualités offertes dans les deux "marchés" des viandes bovines en Corse, c'est à dire, d'une part, les centres peuplés les plus importants de l'Île, situés notamment sur le littoral, et, d'autre part, les communautés rurales localisées dans les zones de piémont et de montagne. Dans le premier de ces "marchés", les consommateurs montrent une préférence par les viandes importées du continent, composées à 75 % de viandes provenant "d'animaux de 250 à 350 kg de viande nette" (Carlotti, 1936: 146), trois à quatre fois plus lourds que les carcasses des veaux locaux. Cette consommation est complétée avec de la viande de veaux produits en Corse. Rappelons qu'à cette époque, certains veaux produits dans les plaines littorales ("in piaghj", mot à mot "à la plage") sont déjà le produit de croisements des vaches issues de la population locale et de taureaux importés du continent.

Par contre, en zone rurale, la population est plus habituée à consommer une viande ferme et goûteuse. De fait, la consommation des veaux produits et collectés dans ces mêmes zones prédomine, et, pour la plus grande partie, ce sont des bovins d'origine locale. En effet, il s'agit des veaux de race locale, dont la plupart sont abattus en été, à des âges assez précoces (souvent des veaux de 5 à 8 mois) et ayant des poids carcasses compris entre 60 et 100 kg. Le broutard abattu à un âge plus avancé, c'est à dire entre 10 et 15 mois, à un poids compris entre 70 et 120 kg, est appelé localement manzu. Il a une viande plus ferme et plus rouge que celle des veaux. Il s'agit, dans la plupart des cas, de veaux nés au printemps et qui n'ont pas pu être engraissés et abattus dans les périodes où l'offre fourragère est la plus abondante.

Un troisième produit, moins fréquent que les deux derniers, est le mâle châtré (bœuf) dénommé localement "buiaccóne " (gros bœuf) ou " pistoghju" (bouvillon). Néanmoins, il ne s'agit pas des bovins destinés au travail mais à l'engraissement18. Les carcasses de ces bovins, âgés de deux à trois ans, ressemblent à celles du manzu.

1960-1974. Un décalage croissant entre l'offre et la demande

Les différences entre les deux "marchés" identifiés, celui des centres urbains et celui des zones rurales, aussi bien en ce qui concerne les volumes demandés que les qualités requises, continuent d'être importantes. Elles évoluent avec les changements socio-économiques tels qu'un développement exponentiel du tourisme, les changements dans le profil des touristes arrivant en Corse et les processus d'immigration.

Indépendamment des mutations modifiant la configuration de l'aval de la filière, cette période est marquée par le fait que, à l'amont de celle-ci, l'élevage de bovins poursuit son processus de dégradation. Celui-ci est déterminé par un rythme accéléré d'affaiblissement du monde rural corse. Les indicateurs d'une forte déconnexion entre l'offre et la demande vont devenir de plus en plus évidents. Cette déconnexion ne fera qu'approfondir la crise dans laquelle est submergé l'élevage des bovins en Corse.

Accentuation de l'exode rural et marginalisation de l'élevage

Dans les années 1950, Dumont soulignait l'extraordinaire potentiel d'évolution du monde agricole corse à travers l'intensification de la production fourragère (Dumont, 1952). Contrairement à ce que cet expert aurait pu prévoir, dans les années suivantes, on constatera une diminution prononcée de la production fourragère et une forte chute des activités d'élevage.

Parmi les causes de cet effondrement, l'accélération de l'exode rural semble la plus importante. En effet, entre 1962 et 1975 on constate la disparition de 40 % des agriculteurs. Cette forte régression entraîne l'abandon de l'entretien des espaces et l'invasion consécutive du maquis dans les parcelles qui ne sont plus travaillées. Ce processus est particulièrement important dans les aires de coteaux et de montagne.

Un autre élément contribuant à cette dégradation est l'évolution des rapports entre propriétaires et exploitants. Ce problème est déjà mentionné par Abattucci au XIXème siècle: "En général, la terre est aux uns et le bétail aux autres" (cité par Vercherand, 1989: 24). Néanmoins, si dans le passé, cela pouvait constituer un blocage pour la complémentarité agriculture/élevage, les conséquences sont encore plus néfastes dans la deuxième partie du XXème siècle. En effet, les terres transmises par les anciens agriculteurs à leurs enfants ne seront plus labourées. Dans le même temps, de nombreux héritiers de ces terres, même s'ils ont migré vers la France continentale, voire vers des destinations plus lointaines, se refusent généralement à perdre leur lien à la terre. L'indivision devient alors un problème majeur qui, d'ailleurs, n'est toujours pas résolu aujourd'hui19.

Malgré l'augmentation des superficies devenues disponibles pour les bovins, à cause de cet abandon des terrains et de la forte régression des autres élevages (notamment celui des ovins et des caprins), la dégradation de la production fourragère oblige les éleveurs à un recours massif aux fourrages importés (Renucci, 1974: 217). D'autre part, les problèmes induits par la mise au feu systématique des maquis afin d'effectuer le nettoyage des terrains sont loin d'être résolus. Leurs conséquences sont connues : disparition de forêts entières avec un impact incontestable sur l'équilibre des écosystèmes, dégradation accélérée des sols, et bouleversement des paysages. On se rappellera l'exemple catastrophique de l'été 1975, où le feu a détruit 30.000 ha de bois et de friches.

Parallèlement, on constate une perte progressive des savoirs faire liés à l'exploitation de ces ressources fourragères spontanées, la transhumance tend à disparaître et les mouvements migratoires deviennent moins nombreux que par le passé (Renucci, 1974: 227).

Ainsi, sur une période relativement courte, les systèmes pastoraux de Corse vont être fortement bouleversés. Et leur dégradation va avoir des fortes conséquences sur le territoire insulaire. En 1974, Renucci indique:

"La Corse (c')est le paradis du bétail errant; ... Toutes les étendues abandonnées par le rétrécissement des surfaces agricoles sont devenues le domaine des divagations animales qui occupe donc 90 % de la superficie départementale. La presque totalité de l'espace insulaire sert de champ d'exploration aux bêtes" (Renucci, 1974: 212 - 213) 20

Les conséquences de ce processus de dégradation de l'élevage bovin sont évidentes. Les statistiques montrent que, au cours de la période 1960-1973, le nombre de bovins sur l'Île va connaître son niveau le plus bas: en 1970, l'effectif total de bovins est estimé à 33.928 têtes21, alors que 54.540 avaient été recensés en 1896 et encore 45.000 têtes en 1960.

Le décalage avec l'augmentation de la consommation de viande

A la forte régression (ou au moins la stagnation) de la production de viande bovine en Corse, s'oppose la tendance d'une demande en forte croissance. En effet, durant la période considérée (1960-1973), le développement extraordinaire du tourisme estival fait que la demande des biens de consommation augmente rapidement. Les statistiques officielles montrent que, entre 1960 et 1973, le nombre de touristes visitant la Corse est passé de 130.000 à 730.000. Soulignons au passage que le nombre de visiteurs qui sont arrivés en Corse en 1965, 240.000, équivaut à celui de la population permanente de l'Île.

L'impact sur la demande en viande bovine est frappant: tandis qu'elle est d'environ 2 000 tonnes en 1962, elle monte rapidement à environ 6.500 tonnes en 1966 et à plus de 9.000 en 1973. Cette augmentation exponentielle de la demande n'est guère couverte par la production locale. Cette dernière oscille entre 500 et 1.000 tonnes par an. Le fort décalage entre demande et offre va être compensé alors par l'importation de viandes provenant notamment de la France continentale.

L'importation massive de viande bovine pour couvrir cette demande démontre l'impuissance de l'élevage corse à élaborer des réponses organiques. Les principales causes de ce manque de réaction vis-à-vis l'évolution de la demande ont été déjà exposées. Néanmoins, il faut souligner la présence de nouveaux facteurs ne favorisant pas le développement de cette filière en Corse, telle la forte dégradation de l'infrastructure d'abattage. Ainsi, en faisant référence à cette décennie, Ravis-Giordani affirme: "Les veaux sont ... vendus aux bouchers, directement sans passer par un abattoir ; depuis plusieurs années, l'abattoir municipal de Bastia est fermé, celui d'Ajaccio vétuste, fonctionne au ralenti" (Ravis- Giordani, 1983: 303).

Cela semble indiquer l'existence de blocages empêchant de construire des outils collectifs. Il est légitime alors de s'interroger sur la nature des causes de ces blocages. A partir des témoignages de certains acteurs de la filière et de la bibliographie disponible, on peut certainement expliquer la disparition des abattoirs en Corse, entre les décennies 1960 et 1970, par l'absence d'une interprofession structurée, voire d'un acteur de la filière -tel qu'un groupement d'éleveurs-, ayant à la fois la motivation et le poids économique et/ou politique pour construire et gérer ces structures.

A cette époque les acteurs les plus importants de la filière sont toujours les grossistes importateurs de viandes. Si leurs entreprises ont été pendant des décennies les utilisatrices principales des structures d'abattage, le développement des techniques de transport et de conservation des viandes a permis de reconfigurer leur fonctionnement. Elles vont développer davantage l'achat des carcasses provenant notamment de la France continentale, en distribuant des quartiers et morceaux à une clientèle de plus en plus nombreuses et diversifiée. La multiplication des hôtels, centres de vacances et des restaurants, principalement en zone littorale, s'ajoute à la clientèle préalablement existante. Certains distributeurs de viande ne vont pas abandonner mais réduire sensiblement l'abattage de bêtes. Dans ce but, ils vont construire de petites structures d'abattage dans leurs propres installations.

Concernant les changements territoriaux induits par le tourisme, on peut souligner l'accélération de la concentration de la population dans les régions du littoral. Cette concentration est désormais beaucoup plus importante durant les périodes d'été. En effet, la construction de centres de vacances, de nouveaux hôtels, de campings ou de résidences privées, se développe pour la plus grande partie près des plages. Néanmoins, la montagne connaît aussi des étés animés: les vacances permettent aux corses habitant sur le continent de se rendre dans leur village d'origine. Ils constituent entre 36 et 40 % du total des visiteurs. Cette affluence vers les montagnes est renforcée par l'évolution des axes routiers, qui va encourager les touristes à voyager plus facilement vers la montagne.

La nouvelle configuration territoriale et les mouvements migratoires à l'intérieur de l'Ile vont ainsi modifier les habitudes de consommation de viande bovine pour une partie importante de la population locale. Ces changements vont creuser des écarts entre la demande et l'offre locale de viande bovine et cet écart ne concerne pas uniquement les aspects quantitatifs, mais aussi des aspects qualitatifs.

1973-1990: Un élevage paradoxal: la déconnexion entre "la" demande et les qualités offertes

La tendance à la hausse de la demande totale de viande en Corse va se confirmer dans les "années" 1970 et 1980, étant donné l'affluence grandissante des touristes visitant la Corse. Au niveau de la production de bovins, les effectifs vont connaître aussi une augmentation exponentielle dans la période 1973-1990. Néanmoins, en termes de qualité, cette augmentation de la demande ne correspond pas aux caractéristiques de la plupart des viandes bovines produites localement. C'est ce qu'on pourrait appeler une "déconnexion" entre la demande et les qualités offertes par la production locale. Cette différence d'approche concernant les définitions de la qualité entre les deux extrémités de la filière mérite d'être analysée plus en détail et met en relief des situations nuancées.

La "continentalisation" de la définition de la qualité

La forte présence de consommateurs venant du continent français, notamment au cours des mois d'été, impose aux acteurs de la filière de leur fournir le type de viande qu'ils sont habitués à consommer, c'est à dire des viandes aux caractéristiques correspondant à celles des viandes produites en France continentale. Nous proposons de dénommer "continentalisation" de la définition de la qualité à l'aval de la filière cette prédominance de la demande de ce type de viande

Cette tendance est renforcée par le fait que les habitants des centres urbains du littoral, de plus en plus importants, se sont habitués à consommer ce même type de viande, car les boucheries présentes offrent majoritairement des produits importés.

Cependant, un nouveau phénomène migratoire permet de contrecarrer partiellement les effets de cette tendance écrasante. En effet, "de même que dans le Midi viticole à l'origine, les ouvriers agricoles marocains sont venus en Corse à la suite des Français rapatriés d'Algérie" (Luciani, 1995: 170). Et, les habitudes de consommation de cette nouvelle population d'origine maghrébine vont soutenir la consommation des veaux produits localement, même si leur propre définition de la qualité des viandes n'est pas en parfaite concordance avec celle du reste de la population permanente.

Les définitions de qualité à l'aval de la filière

Dans l'ensemble des consommateurs de viande bovine en Corse, nous identifions tout d'abord celle de ceux qui préfèrent les viandes provenant du continent. C'est à dire, des morceaux de viande de grande taille et de couleur rouge-foncée. Cela correspond à des viandes provenant des vaches et des taurillons de races assez musclées et dont la grande vitesse de croissance est associée à des viandes plus tendres. Dans le jargon de la filière ce produit est appelé viande "de bœuf". Par contre, leur bas niveau de "persillé" entraîne un goût peu prononcé. Nous trouvons aussi chez ce type de consommateurs une définition de la viande "de veau", associée à celle du veau de lait, élevé également dans plusieurs régions du continent. Il s'agit alors d'une viande de couleur rose très pâle et au goût moins prononcé encore que celui des viandes de "bœuf".

A cette même époque, et dans ce même groupe de consommateurs, on constate aussi des changements dans le mode de vie qui vont avoir des conséquences sur le type de morceaux de viande recherchés. La faible disponibilité du temps (des femmes) pour la préparation des repas entraîne une augmentation de la demande des morceaux à rôtir et à griller par rapport aux morceaux à braiser ou à bouillir. Cela rend de plus en plus difficile de "faire passer" les avant des carcasses et, notamment, ceux des bêtes de petite taille. En Corse, comme dans d'autres régions, ce type de viande constitue, depuis la fin des années 1960, de 80 à 85 % de la demande totale en viande bovine. Et, cette demande est formulée aussi bien par les touristes que par une partie importante des corses qui résident en zone littorale et même dans les villages de montagne.

Cette évolution, même si elle est lente, sera accélérée sous l'influence des estivants corses habitant sur le continent. Ainsi, dans les années 1980, les viandes provenant du continent vont trouver une place à l'étal des boucheries des villages.

Par contre, à cette tendance à augmenter la consommation de viandes "continentales" dans l'intérieur, s'oppose une poussée de la consommation de veaux "corses" en plaine. Plusieurs phénomènes sont à l'origine de ce changement:

- d'abord, l'arrivée des populations d'origine maghrébine pour répondre aux besoins de main d'œuvre pour les exploitations agricoles de la plaine, mais aussi pour le secteur du bâtiment en ville, va accentuer la demande des veaux produits en Corse dans les régions du littoral. L'obligation religieuse, respectée par beaucoup, de ne manger que de la viande halal, provenant de bovins abattus selon le rite, et leur situation économique précaire les contraint à acheter des viandes locales. De plus, le rapport de proximité avec les abatteurs chargés d'effectuer l'abattage rituel peut les rassurer quant à l'accomplissement des mandats religieux.

Concernant les caractéristiques intrinsèques des produits recherchés, ces "nouveaux habitants de la Corse" préfèrent les viandes provenant d'animaux de petite taille, celle-ci étant généralement associée à un âge précoce d'abattage, même si souvent il s'agit de "broutards".

La fidélisation de ces consommateurs sur le marché du veau corse est démontrée par le fait que la population d'origine maghrébine représentait, en 1985, 6 % de la population locale, mais 13 % du marché de ce produit22.

- ensuite, la généralisation de l'achat de réfrigérateurs et de congélateurs dans un grand nombre des foyers de Corse dans les décennies 1970 et notamment 198023. Désormais, un grand nombre de familles, aussi bien celles des centres urbains peuplés que celles du milieu rural, achètent directement aux éleveurs corses des carcasses ou des demi-carcasses de veau. Cela représente 11 à 15 % des viandes locales commercialisées24. Un des éléments attractifs pour ces acheteurs est le niveau convenable de prix de cette viande. Cela sert à compenser les désavantages associés souvent à une conformation déficiente des carcasses de ces veaux locaux. Ce phénomène est aussi important en plaine qu'en montagne.

Soulignons que dans les deux cas que nous venons de citer, une partie importante des achats de veaux, est effectuée directement à la ferme, pour des animaux abattus dans des tueries dites "tolérées". Ces conditions des transactions ont des conséquences particulièrement nocives sur les mécanismes d'estimation de la qualité des carcasses. Cela constitue un blocage important dans la transmission, vers l'amont de la filière, des qualités recherchées par les diverses demandes.

Un faible retour vers l'amont selon le circuit commercial

Un des signes d'une forte déconnexion entre la demande de viande bovine et l'amont de la filière, et plus particulièrement avec les éleveurs de bovins, est la faible articulation avec les aspects relatifs à la qualité des produits.

Il est vrai que c'est l'ouverture des hypermarchés et des supermarchés en Corse, à partir de l'année 1975, qui a fortement contribué à la formalisation de la définition de la qualité dans la commercialisation des carcasses et, singulièrement, celle de la viande de veau. La nécessaire normalisation des produits offerts par la grande distribution se traduit, vers l'amont de la filière, en termes de caractéristiques à respecter pour les carcasses pour qu'elles puissent être achetées. Les critères sur lesquels s'appuie la définition de ce qu'on peut dénommer la "qualité normative" pour les veaux produits en Corse sont principalement le poids de carcasse, l'âge d'abattage et la conformation musculaire des carcasses. Désormais, les grands distributeurs exigent des carcasses ayant un poids situé entre à 100 et 140 kg, bien conformées et ayant un âge de 6 - 7 mois à l'abattage.

Néanmoins, la participation de la grande distribution dans la filière locale va rester très limitée jusqu'à la fin des "années 1980". En effet, son importance ne va s'accroître de façon importante que dans la deuxième partie des "années 1980". Ainsi, en 1988, les grandes surfaces augmentent leur superficie de près d'un tiers25.

La localisation des grandes surfaces dans les régions littorales pourrait constituer une des barrières pour l'articulation entre celles-ci et les éleveurs. Ces derniers sont localisés, pour une grande partie, en zone de montagne. Cependant, la barrière la plus importante pour cette articulation est constituée par les aspects relatifs à la qualité des produits. En effet, la plus grande partie des viandes qui y sont vendues proviennent de la France continentale et continuent d'être importées par les grossistes implantés tout près des ports. Dans les cas des supermarchés qui offrent de la viande de veaux corses, celle-ci est fournie par des grossistes achetant quelques bovins en Corse ou par des intermédiaires de type maquignons. Dans ce but, ces derniers collectent les bovins les mieux conformés auprès d'une large clientèle d'éleveurs situés dans l'Ile.

Au milieu des années 1980, ces intermédiaires deviennent très importants pour le fonctionnement de la filière car ils permettent de "dégager" les veaux refusés par les bouchers locaux. Parfois anciens bouchers ou fils de bouchers, ils sont aussi chargés de fournir le marché citadin en viandes Halal. Pour ce faire, ils installent parfois leurs propres boucheries dont ils confient la gestion à des bouchers d'origine maghrébine. Les bovins achetés par ces "maquignons" sont généralement payés en fonction d'un poids-carcasse des veaux estimés à l'œil. Les types de viandes fournis dans ce marché sont bien plus variables que ceux imposés par les grandes surfaces. En effet, l'âge des bovins abattus peut varier entre 6, 15 et 18 mois, et le poids des carcasses entre 80 et 180 à 200 kg. Dans certains cas, ces opérateurs engraissent quelques veaux peu conformés à l'achat aux éleveurs et les re qualifient dans les réseaux commerciaux de la plaine.

Ce faible niveau de formalisation dans la définition de la qualité des produits dans l'articulation éleveur/acheteur est aussi constaté dans la vente des veaux aux bouchers de "la montagne" et de "la plaine". Mais, ces derniers partagent aussi le marché de la ville avec les supermarchés. Ils sont donc contraints de s'adapter aux nouvelles définitions de la qualité proposées par les grandes surfaces.

Rappelons que beaucoup de ces bouchers sont souvent des éleveurs de bovins ayant leurs exploitations dans les zones de plaine et de coteaux. Et, c'est à l'intérieur de ces structures intégrant diverses étapes de la filière que les demandes de l'aval de la filière sont traduites avec le plus de clarté vers l'amont. En effet, ces bouchers sont contraints de produire des veaux aux qualités adaptées à ce qu'attendent leurs clients de plus en plus exigeants.

Quels sont alors les réseaux qui permettent d'écouler la plus grande partie de la production locale? A partir des éléments présentés plus haut, nous pouvons conclure que la plupart (67 %)26, des veaux produits en Corse sont vendus dans les boucheries des villages, dans les boucheries Halal, dans quelques boucheries de ville; le reste l'est à travers des ventes directes à la ferme.

Les transactions développées à l'intérieur de ces circuits commerciaux sont caractérisées par une faible formalisation des aspects relatifs à la qualité et par l'abattage des bovins dans des tueries précaires, voire "sous le chêne". Dans ce contexte, les veaux produits en Corse ne sont donc que faiblement valorisés. Malgré cette réalité, la filière locale montre une croissance importante de ses effectifs.

En fait, c'est là le résultat de politiques stimulant la spéculation dans la production bovine.

Une offre déconnectée de l'aval de la filière: des veaux issus des primes

Comme nous l'avons montré plus haut, le troupeau de bovins en Corse s'est accru de façon exponentielle au cours des décennies 1970 et 1980. Ainsi, entre 1973 et 1988, le nombre de bovins élevés dans l'Ile s'est multiplié par trois. Néanmoins, ce phénomène ne présente pas les mêmes caractéristiques dans l'ensemble de la région. Nous constatons, encore une fois, des différences sensibles entre la plaine et la montagne. Cependant, les traits les plus importants de cette période restent marqués dans l'ensemble des élevages. Nous analyserons ensuite les causes de la "prolifération" des bovins en Corse et certaines caractéristiques territoriales de ce processus.

L'incitation à la spéculation par des politiques de "développement"

La mise en place de certaines politiques nationales et/ou européennes tendant à soutenir les territoires les plus fragiles semble avoir contribué, de fait, à la dégradation de l'activité d'élevage des bovins et à celle de certains espaces de pâturages en Corse.

La première des mesures qui a eu un impact important dans ce processus de dégradation date de 1973: il s'agit de la création, par la Communauté Européenne, de l'Indemnité Spéciale Montagne (ISM). Cette indemnité est accordée à l'éleveur en fonction du nombre de bovins qu'il possède, mais sans aucune exigence de production de sa part. Cela est sans doute à l'origine d'une logique de spéculation chez certains éleveurs corses. Les conséquences sont évidentes: en 5 ans (1973 - 1978) le troupeau s'accroît de 29 000 à 43 000 têtes.

A cette prime communautaire, s'est ajoutée, en 1980, une prime nationale à la vache allaitante. Les conséquences de cette situation ont été assez vite analysées: "La rentabilité "financière" de l'élevage bovin se substitue à sa rentabilité économique. Ce système ne stimule guère l'amélioration de la productivité" (Casabianca, 1988: 3).

D'autres aspects de cette réalité sont soulignés:

"L'élevage bovin ne permet, généralement pas de faire vivre à lui seul une famille, mais étant donné que très peu de travail lui est consacré, il apparaît non seulement comme un capital épargne, ... mais comme un placement financier au taux de rentabilité très élevé avec la vente de quelques veaux depuis 1974 et 1980" (Vercherand, 1989: 49).

Une grande partie des propriétaires de bovins corses sont d'ailleurs désormais souvent qualifiés de "chasseurs de primes" par la société locale.

La faible rentabilité de l'élevage est en effet aggravée par le fait que pour bénéficier des primes à la vache allaitante, l'abattage de femelles est limité au strict minimum. C'est ainsi qu'en 1988, on compte 79 500 bovins sur le territoire corse, soit 274 % du troupeau initial de 197327.

On peut imaginer facilement les conséquences néfastes d'une faible (voire d'une absence de) pression de sélection sur les futures vaches mères parmi les génisses produites chaque année, conservées puisque éligibles aux primes. La génétique de la population de bovins corses s'est vue ainsi fortement dégradée par une multiplication non dirigée de génisses dont les caractéristiques étaient très hétérogènes.

Ces déficiences dans la gestion de la génétique ont bien sûr des conséquences sur les caractéristiques des veaux produits. D'autant que, à cette dégradation dans la qualité de la génétique du troupeau, il faut ajouter un autre facteur déterminant pour les caractéristiques des veaux sevrés: la nutrition. On peut, en effet, constater deux phénomènes associés à cette " prolifération " désordonnée des bovins: d'une part, les ressources fourragères spontanées, déjà dégradées, deviennent véritablement insuffisantes pour un cheptel de plus en plus nombreux, et, d'autre part, le déficit grandissant de fourrage pousse certains éleveurs à utiliser des territoires qui, en principe, ne sont pas aptes à supporter des activités d'élevage.

Les produits offerts présentent alors majoritairement des fortes variations de qualité. Une grande partie des veaux abattus sont désormais plus âgés et leur degré d'engraissement et de conformation corporelle se sont dégradés. Une grande partie de ces veaux est ainsi jugée non apte à être commercialisée dans les circuits commerciaux "officiels".

Le tri des qualités achetées par les bouchers s'intensifie alors et, dans certains cas, la clientèle remarque la dégradation de la qualité offerte par les bouchers de village. Dans le même temps, l'abattage "sous le chêne" et les ventes à la ferme se multiplient. De plus, le problème du renouvellement des structures d'abattages persiste. On constate ainsi, une généralisation d'abattages hors normes sanitaires, dont une partie importante est effectuée dans des tueries dites "tolérées" (Casabianca, 1988: 5).

L'ensemble de ces éléments fait que, certains consommateurs deviennent réticents à consommer des viandes locales. L'image de l'élevage des bovins en Corse se dégrade vis-à-vis d'une partie de la population locale. La viande bovine produite en Corse, ne constitue désormais que 15 % de l'offre (Casabianca, 1988: 4).

Ainsi, l'écart entre les qualités demandées et les qualités offertes par les filières locales s'accroît.

- D'une part, le marché local, désormais dominé par les super et hypermarchés, boucheries de ville et restaurants, devient de plus en plus exigeant. Les bouchers des grandes surfaces commencent à exiger alors ce qu'on appelle des carcasses à qualité normative, c'est à dire des veaux ayant 6 à 7 mois, et des carcasses entre 100 et 140 kg.

- D'autre part, les éleveurs "dégagent" de plus en plus des veaux aux caractéristiques très hétérogènes, mais où prédominent des animaux "petits", ayant entre 60 et 100 kg /carcasse, pour un âge compris entre 6 et 12 mois. Souvent les veaux sont même abattus entre 15 et 18 mois ("i manzi"28). Ce produit qui n'était que marginal dans les exploitations pastorales jusque dans les "années 1960", constitue désormais une partie non négligeable de la production. Mais, cette qualité ne s'adapte pas totalement aux attentes des nombreux touristes et consommateurs citadins corses.

Néanmoins, certains changements sont déjà en cours, depuis la moitié des années 1980. Dans certaines zones de la Corse, quelques éleveurs commencent à élaborer des stratégies tendant à corriger les décalages entre les qualités offertes et les qualités demandées. Une fois de plus, nous constatons des différenciations territoriales.

Une diversité de situations selon le territoire

Dans ce processus général de dégradation de la qualité des veaux produits en Corse, il existe en effet des situations où cette tendance n'est que partiellement vérifiée. Ainsi, on observe des démarches d'"amélioration" de la qualité des veaux, mais avec quelques restrictions liées d'une part, à des différences entre zones de production (plaine, coteau et montagne) et, d'autre part, à des différences entre les élevages d'une même région.

En plaine, vers la fin des "années 1980", on constate "... une sédentarisation de troupeaux par des éleveurs qui modifient leurs structures génétiques et cherchent à produire de la viande. Les conditions sont bien évidemment plus propices et les veaux produits mieux conformés" (Casabianca, 1988: 3-4). Cependant, cette évolution est loin encore de représenter la majorité des élevages. Dans les années 1970, ce phénomène était circonscrit à un certain nombre de bouchers-éleveurs pour s'élargir, à partir des années 1980, à quelques éleveurs qui les rejoignent.

Dans le cas des bouchers-éleveurs (notamment ceux de la ville) ils vont devoir, en effet, répondre, à partir des "années 1970", aux nouvelles demandes des consommateurs. Ils cherchent alors à "tirer le maximum de beefsteak de chaque carcasse". Dans la recherche d'une bonne conformation musculaire des carcasses des veaux, ils effectuent alors des croisements entre les vaches issues de la population locale et des taureaux à races plus musclées telles que la Charolaise, la Blonde d'Aquitaine, et, plus tard, la Salers, l'Aubrac et la Gasconne, entre autres. Cette pratique devient courante chez les bouchers-éleveurs ayant leur exploitation dans les régions à forte production fourragère du littoral, telles que la Plaine Orientale, le Sartenais, le bas Taravo et la plaine du Nebbiu, aux alentours de Saint-Florent.

Au milieu des années 1980, quelques éleveurs de la zone de Porto-Vecchio, du Sartenais et de la plaine de Campo dell'Oro, aux alentours d'Ajaccio, soucieux de la qualité des produits offerts, commencent aussi à faire du croisement. Mais, à cette époque, ces éleveurs sont encore une minorité.

La réalité est toute autre dans les régions de montagne. Dans ces régions on constate

"... une extensification liée à l'agrandissement chronique de l'espace disponible ... Des espaces se libèrent et ils sont aussitôt occupés par des bovins, en grande majorité de race corse, au fonctionnement quasi autonome: quelques bottes de foins suffisent pour aider le cheptel-capital à passer les moments les plus critiques..." (Casabianca, 1988: 3).

C'est dans ce type de région que l'on constate une forte prédominance des élevages de spéculation et d'où provient la plus grande partie des veaux aux caractéristiques les plus hétérogènes. Soulignons que les terrains montagneux occupent plus de 85 % de la superficie de la Corse. On comprend alors la prédominance de ces veaux aux caractéristiques peu adaptées aux exigences des principaux réseaux commerciaux de viande bovine en Corse.

1990 - 2002: Du "veau corse" au "veau de corse": un processus d'adaptation a "la" demande a l'origine d'un éventail de qualités

La montée en puissance des grandes et moyennes surfaces, le fort développement de la restauration, liée à la disparition accélérée des boucheries au début des "années 1990", contribuent à imposer largement la définition d'une qualité normative. Une grande partie des éleveurs est ainsi obligée de se conformer aux exigences des grandes surfaces, grossistes et boucheries.

En dehors de ces circuits commerciaux, les opportunités de vente des veaux connaissent des limites. Ainsi, la vente des veaux à la population d'origine maghrébine, comme les autres ventes de proximité, représentent des volumes trop restreints. D'autre part, la vente des veaux aux intermédiaires est réalisée sur la base de prix souvent très bas et de systèmes d'évaluation de la qualité peu fiables aux yeux des éleveurs.

La question de la qualification des produits et des systèmes de production permettant d'atteindre les qualités souhaitées sont au centre des débats au sein de la filière. Des démarches collectives vont émerger dans la recherche des solutions techniques à15 ces problèmes. Une étape de recherche d'adaptation de la qualité des veaux produits à la demande s'amorce alors.

Néanmoins, au fur et à mesure que la décennie avance, de nouvelles définitions de qualité des produits agroalimentaires vont apparaître. La dimension sanitaire dans la définition de la qualité des aliments, suite à la crise dite de la "vache folle", prend une dimension importante. La filière du veau corse est confrontée alors à une redéfinition constante des critères de qualité des produits. La conséquence du processus d'adaptation à un marché en évolution permanente est l'émergence de nouvelles définitions de qualité pour un même produit.

Les réponses collectives aux contraintes imposées par le marché

Le marché des produits alimentaires, et en particulier celui de la viande bovine, connaît une grande complexification en termes de définition de la qualité des produits. En Corse, les difficultés rencontrées pour commercialiser les produits de la filière bovine présentent certaines particularités.

Ainsi, à l'inadaptation de la qualité de produits locaux à "la" demande, s'ajoute la présence de fièvre catarrhale. Cela empêche d'expédier vers la France continentale des bovins vivants provenant de l'Île (cela concerne notamment les bovins adultes dont les vaches de reforme). L'absence d'abattoir agréé aux normes européennes bloque, quant à elle, l'expédition de viande bovine vers ce marché, ce qui rend ce problème insoluble.

Dernière question relative à la qualité des produits: celle de la mise en marché des produits définis comme "sains" et "naturels".

Pour y répondre, des éleveurs de bovins corses tentent de s'organiser autour de quatre questions centrales:

  • La mise en place d'abattoirs régionaux et locaux,
  • L'organisation de la vente des carcasses de veaux29.
  • L'importation de compléments alimentaires (dénommés aliment ou céréales, suivant les cas, par les éleveurs) et l'augmentation de l'importation de foin,
  • Le renouvellement de la génétique des bovins,

L'analyse des caractéristiques de ces actions organisées, à travers, d'une part, l'évolution de ce processus dans les différentes régions de Corse et, d'autre part, les acquis et les limites de ces actions devrait permettre de mieux connaître l'ensemble des définitions, en termes de qualité, que l'on retrouve aujourd'hui chez les veaux produits et/ou abattus en Corse.

S'organiser localement pour améliorer la qualité des veaux

Les changements amorcés par les actions développées dans les "années 1980" par quelques organisations dans les zones littorales de Corse-du-Sud se généralisent dans l'ensemble de la région au cours des années 1990. Ces actions, assez isolées les unes des autres, vont connaître des obstacles et des itinéraires similaires. Néanmoins, les fruits récoltés à travers ces efforts diffèrent substantiellement suivant les régions.

En ce qui concerne les zones littorales de Corse-du-Sud, on peut comparer l'évolution des démarches organisationnelles à partir de deux exemples: celui de l'Association Départementale de Producteurs de Viande Bovine de la Corse-du-Sud (ADPVB), qui a son siège à Ajaccio et celui de l'Association des Eleveurs de Bovins de l'Extrême-Sud de la Corse, qui est basée à Porto-Vecchio.

L'origine de ces deux associations renvoie à la formation des Groupements d'Intérêt Economique, dans les années 1982-1985, dans le cadre des politiques de développement mises en place par l'Etat. En particulier, l'Etat finance, pour partie, le recrutement de personnels techniques. Les objectifs poursuivis dans ce type de démarche sont l'amélioration de la gestion des aspects sanitaires, la nutrition et la génétique animale.

Une des premières activités collectives de ces structures sera l'organisation d'expositions et de ventes des reproducteurs "améliorateurs" de races "à viande" provenant notamment de la France continentale. Les croisements deviennent alors courants parmi la vingtaine d'adhérents du GIE. Il en est de même de l'implantation de pâturages dans les zones les plus fertiles où l'irrigation peut compenser le fort déficit hydrique estival. D'autre part, l'ADPVB organise l'importation d'aliments industriels qui sont achetés majoritairement en France continentale et distribuées localement aux éleveurs.

Malgré l'amélioration de la qualité des carcasses offertes, ces éleveurs se heurtent à un problème majeur: les acheteurs ne traduisent pas dans le prix, la différence de qualité offerte. Les éleveurs décident alors de se regrouper autour d'une nouvelle association, connue désormais comme l'ADPVB, pour commercialiser ensemble leurs produits. Le projet l'altra carri (l'autre viande) est en route.

Pour résoudre le problème de l'abattage plusieurs associations locales et des opérateurs privés se sont unis et on permit la construction d'un abattoir, inauguré en 1998, sur la commune de Cuttoli-Corticchiato, dans la région d'Ajaccio.

Dans le but de solutionner la question de la découpe des veaux et de l'"écoulement" des morceaux les moins demandés, une structure de découpe et de distribution est construite, plus tard, qui jouxte l'abattoir. La complexité de leur gestion pousse l'ADPVB à privatiser le fonctionnement de cette dernière.

Concernant les éléments qui demeurent à améliorer, d'après les membres de cette association, se détachent les difficultés pour vendre la totalité des veaux produits, les problèmes de coordination dans l'abattage et la perte du contrôle sur l'atelier de découpe. La communication de la provenance des viandes de veau étant "confisquée" par les opérateurs chargés de la découpe, la démarcation dans le marché local reste un défi à surmonter (Trift y Casabianca, 2002: 390).

Des problèmes similaires sont rencontrés par les éleveurs regroupés autour de l'Association des Eleveurs de bovins de l'Extrême Sud de la Corse. Dans ce cas, le rapport de partenariat entre deux grandes surfaces installées à Porto-Vecchio et le groupement d'éleveurs a permis la mise en place d'un cahier de charges. Celui-ci met l'accent sur le poids et la conformation des carcasses, l'âge des bovins abattus et sur la définition d'un produit "naturel". L'apport de compléments n'est pas autorisé dans l'alimentation des veaux fournis. Soulignons que, malgré ce rapport de partenariat, le problème de la communication de la provenance des viandes demeure.

Par ailleurs, la vente des veaux excédants ou disqualifiés les ventes des partenaires est assurée grâce à d'autres voies commerciales telles que la vente des carcasses à des grossistes et à des bouchers locaux.

Les démarches organisationnelles développées dans une première étape dans les zones de plaine de Corse-du-Sud, sont suivies dans les "années 1990" dans les zones de montagne coteaux et même de plaine de Haute-Corse. Néanmoins, on constate des divergences par rapport aux projets du Sud. Elles concernent aussi bien l'appropriation des objectifs différents au sein de chaque démarche qu'au niveau des performances de celles-ci.

Ainsi, les réflexions entreprises autour de la génétique des bovins sont développées autour de l'organisation de la Foire du Col de Pratu à partir 1989. La re-dynamisation de l'ancienne foire est animée par de jeunes éleveurs. Mais, à la différence des démarches de Corse-du-Sud, des négociants en bovins sont intégrés aussi dans les démarches collectives en Haute-Corse.

Emerge ainsi une organisation "mixte" avec la participation des commerçants dans l'association qui se monte autour de la Chambre d'Agriculture de Haute-Corse. En effet, l'Association Départementale des Eleveurs de Haute-Corse (ADE) compte parmi ses responsables des bouchers et des "maquignons". Cette association a impulsé au niveau départemental l'"amélioration" de la qualité des veaux dont elle coordonne la commercialisation, à travers la commande d'un aliment spécifique adapté aux besoins des veaux à engraisser dans la montagne Corse. Pour ses adhérents, les veaux qui atteignent les seuils déterminés par la "qualité normative" sont vendus auprès des grandes surfaces, des grossistes et des bouchers.

La non disponibilité d'un abattoir agrée aux normes européennes en Haute-Corse dans cette période, n'est pas le résultat de l'absence de projets, mais plutôt des blocages produits par les rapports de pouvoir entre les groupes d'agents regroupés autour des diverses associations et par des reconfigurations politiques affectant la concrétisation de ces projets. Ainsi, le premier projet, porté par certains membres de la chambre d'Agriculture depuis 1996, a été repris en 1998, par le Groupement d'Eleveurs de Bovins de Montagne (GPBM). Finalement, ce projet est concrétisé et l'abattoir a était construit dans la commune de Morosaglia, en proximité de la ville de Ponte-Leccia.

Si l'on fait un bilan de l'ensemble des démarches organisationnelles, on peut souligner tout d'abord, que celles-ci ont certainement contribué à "améliorer" la qualité des carcasses produites. Améliorer est compris ici comme un rapprochement à ce qu'on dénomme une "qualité normative", autrement dit les attentes des principaux distributeurs, tels que les grandes surfaces, bouchers et grossistes. Cette adaptation à "la" demande implique l'introduction de reproducteurs de races très musclées, l'incorporation de compléments alimentaires accompagnée d'une augmentation de la part du foin fournie dans la diète des bovins.

Les difficultés pour la qualification des produits

Les démarches organisationnelles, permettant une articulation plus étroite éleveurs-distributeurs, et pour lesquelles la qualification des produits est au centre des transactions, restent un outil limitée pour l'élevage corse. Quelques 100 à 150 30 éleveurs, sur les 1100 inventoriés31, arrivent à "écouler" une partie de leur propre production (définie par les éleveurs comme les plus beaux veaux) par ce type de voie commerciale. Dans ces transactions, les caractéristiques des carcasses, l'âge des bovins et, dans certains cas, même le système d'élevage, sont normés32.

La part de ce type de transaction sur l'ensemble des bovins commercialisés reste faible. D'autres voies commerciales, comme la vente aux maquignons, occupent une place importante, notamment dans les zones de montagne de Haute-Corse. Ce mécanisme continue d'assurer le lien entre les consommateurs, situés notamment dans les zones du littoral et les éleveurs, ceux-ci restant localisés majoritairement en montagne. Un des avantages associés à ce système est de permettre d'"écouler" des volumes importants de veaux aux caractéristiques très variables. Cette variabilité provient, d'une part, des grandes variations pédo-climatiques tout au long du territoire et de la diversité des pratiques dans la gestion de la nutrition animale et, d'autre part, de la généralisation des croisements.

Il est vrai que les croisements ont contribué à une importante hétérogénéité des veaux abattus. Néanmoins, la généralisation des croisements avec des races musclées, accompagnée d'une utilisation grandissante de complément alimentaire et de foin dans la nutrition animale, ont largement contribué, pour les éleveurs, à se rapprocher des qualités attendues par "la" demande. On le constate dans l'augmentation du poids moyen d'abattage, dans les bonnes conformations et dans les niveaux d'engraissement atteints dans les carcasses, sur des veaux abattus à des âges précoces.

Néanmoins, l'impact de ces changements techniques pose question sur deux points:

- d'une part, celle de la typicité des produits locaux;

- d'autre part, celle de l'amélioration de la diète des bovins, qui permet la rentrée en chaleurs de vaches à des époques de faible disponibilité d'aliments et entraîne une augmentation des veaux dits "loupés" (parce que nés vers la fin de l'été).

Par ailleurs, la grande hétérogénéité génétique du cheptel corse constitue un indicateur d'un des plus grands problèmes risquant d'empêcher la construction de signes officiels de qualité: l'absence d'une gestion de la population locale de bovins33. Cela démontre, en effet, une faible capacité de coordination collective au niveau de l'élevage. D'autant que l'on constate que les organisations, ne regroupant pourtant généralement que peu d'éleveurs, ne sont que faiblement reliées entre elles et même parfois opposées34.

Aux difficultés rencontrées pour la coordination entre les éleveurs (ou justement à cause de cela), il faut ajouter l'absence d'une interprofession capable de dessiner une politique collective autour de la qualité des veaux. C'est vrais que, depuis 2003, et peut-être pour préserver l'avenir, Corsica Vacaghja, (fédératrice de la majorité des multiples groupements d'éleveurs de bovins) organise la promotion des produits sous la bannière œcuménique de Corsicarne et donc de la viande corse. Néanmoins, cette dénomination ne s'appuie pas sur des éléments territoriaux autres que la provenance des veaux abattus.

Cela étant, avant toute mise en place d'un signe officiel, tels le Label Rouge ou la Certification de Conformité Produit, qui pourrait être la base d'une valorisation de l'origine géographique de ce produit, un accord professionnel sur une définition préalable de ce qui est un "veau corse" ou en "veau de Corse" reste à construire.

La coexistence des diverses qualités entre "veau corse" et "veau de Corse"

Les évolutions constatées tout au long des dernières décennies sont à l'origine d'une multitude de dénominations déterminée par un grande variété de systèmes de production et par la diversité génétique présente dans les troupeaux. Ces facteurs sont, bien évidemment, à l'origine du grand éventail de caractéristiques constaté sur l'ensemble des veaux abattus.

Dans les différents circuits commerciaux, cet ensemble de produits connaissent des formes diverses de qualification. La prise en compte de l'interaction entre les systèmes de production, les caractéristiques des produits et les mécanismes de qualification, permet d'identifier une multiplicité de définitions de qualité des veaux répondant à la dénomination "générique" de "veaux corse".

Une grande variété de systèmes de production

L'évolution des systèmes d'élevage de bovins en Corse est caractérisée, d'une part, par l'augmentation du déficit fourrager35 et, d'autre part, une forte tendance à la spécialisation dans les activités d'élevage 36, généralement accompagnée d'une sédentarisation accrue des troupeaux.

En montagne, une grande partie des éleveurs continue à pratiquer une transhumance "courte" entre les terrains situés autour des villages et les sommets des montagnes les plus proches. Les besoins nutritionnels des troupeaux sont complétés par l'apport périodique de foin et de compléments, mais la périodicité de cette opération peut changer selon la saison, l'emplacement de l'exploitation et le schéma de gestion du troupeau37.

Concernant la génétique, on constate chez les vaches mères une prédominance des bovins issus de la population corse, mais aussi de nombreux croisements avec les races continentales. Chez les taureaux, prédomine la présence de bovins issus de croisements entre la population locale et les races continentales. Dans les cas où des reproducteurs de race pure continentale sont utilisés, ceux-ci n'effectuent généralement pas la transhumance, alors que par ailleurs, persiste un certain nombre de taureaux, issus de race locale ou croisés, qui demeurent à l'état sauvage en montagne.

La gestion de l'alimentation évolue entre des éleveurs qui effectuent de faibles apports de foin et/ou de complément pendant les époques à faible disponibilité fourragère (notamment en hiver) et des systèmes dont les investissements en complémentation alimentaire sont bien plus importants. Dans ce dernier cas, les veaux sont souvent engraissés leurs deux à trois derniers mois de vie. Une autre pratique qui dévie de plus en plus courante est celle de sevrer l'ensemble des veaux pour les engraisser enfermés dans des enclos, avant d'effectuer la transhumance avec le troupeau de vaches mères. Soulignons que dans l'ensemble des systèmes d'élevage de bovins, une partie importante des veaux nés aux mois de décembre-janvier est nourrie presque exclusivement sous la mère et abattue lors du sevrage.

Dans les zones de coteaux certains systèmes d'élevage ressemblent à ceux de la montagne. Néanmoins, le gabarit des vaches est fréquemment plus important. Les taureaux sont souvent de race pure continentale, voire croisée, à forte composante de races hyper-musclées. Soulignons que cela contribue à une grande hétérogénéité de gabarits, résultats des nombreux croisements.

Le reste des élevages du coteau ressemblent à ceux de la plaine. Une des caractéristiques principales de ces systèmes d'élevage est l'augmentation importante du gabarit des vaches et la prédominance des taureaux de race pure continentale. Cela constitue un grand handicap pour effectuer la transhumance.

La sédentarisation des troupeaux de la plaine est accompagnée fréquemment par des pratiques d'engraissement des veaux. D'autres techniques d'élevage des veaux impliquent l'enfermement de ceux-ci dans des constructions où ils restent la plupart du temps. Dans ce cas, ils sortent dans un petit enclos où sont amenées les vaches, dans le but de les faire téter. Les vaches allaitantes repartent vers les prairies. Dans d'autres cas, les veaux restent enfermés pendant la journée et consomment foin et "aliment", puis repartent avec leur mère vers la fin de l'après midi.

On rencontre quelques exceptions à cette tendance comme, par exemple, dans la zone de Porto-Vecchio où une trentaine d'éleveurs, engagée dans un partenariat avec deux grandes surfaces, avec un cahier de charges qui interdit l'emploi des compléments industriels dans l'engraissement des bovins. Le profil génétique de ces troupeaux est plutôt une base de vaches croisées avec des taureaux pure race continentale.

En fait, on constate, tout au long de la décennie 1990, une progression importante de la diversité des systèmes de production, due, notamment, à la généralisation de "nouvelles" techniques de production. Cette diversité de système d'élevage s'ajoute à celle déjà existante depuis le début du XXème siècle. Cet ensemble de systèmes de production et leur combinaison, avec divers mécanismes de qualification des produits, sont à l'origine d'une multiplicité de dénominations commerciales pour ces veaux produits et commercialisés en Corse.

Des qualités de "veau corse" qui coexistent

En effet, on trouve sur le marché des viandes bovines en Corse une vaste gamme de produits sous la dénomination générique de veau corse. Pourtant ils présentent des caractéristiques bien distinctes et sont souvent produits et/ou abattus et/ou distribués dans des conditions très différentes.

On retrouve tout d'abord les deux produits "historiques", existants déjà depuis les premières décennies du XXème siècle:

- Tout d'abord, Le veau issu de la population locale, nourri sous la mère, qui ne mange que de l'herbe et éventuellement du foin. Abattu entre 6 et 8 mois, il a un poids carcasse compris entre 60 et 90 kg. Ce sont des animaux qui proviennent souvent des troupeaux pratiquant la transhumance (même assez courte) et qui sont abattus notamment entre les mois de juillet et septembre. Leur viande est décrite par les consommateurs en termes de goutteuse et tendre et à couleur rouge claire. C'est ce qu'on pourrait appeler un veau corse.

- On trouve aussi le broutard appelé manzu. De même origine génétique et avec le même type d'alimentation que le veau traditionnel, il est abattu entre 10 et 15 mois, pour un poids compris entre 70 et 120 kg. Sa viande est goutteuse et ferme et à couleur rouge foncée.

Ce type de produit est généralement commercialisé sur des marchés de proximité à la population locale ou dans des boucheries sous la dénomination veau corse. Dans des nombreux cas, ce produit n'est pas qualifié comme veau corse, mais comme viande halal. C'est le cas des veaux achetés par des maquignons et vendus dans les boucheries halal, ou dans les ventes des veaux sur pied aux familles d'origine maghrébine.

Dans des systèmes de production presque opposés, on retrouve des produits, apparus avec les derniers changements techniques dans l'élevage corse. Il s'agit des veaux de race pure continentale, élevés en plaine et engraissés dans des enclos avec l'utilisation d'aliments du commerce. Leurs caractéristiques sont un poids carcasse compris entre 90 et 170 kg, avec un poids moyen plutôt situé entre 120 à 140 kg, pour un abattage entre 5 et 8 mois. La viande de ces veaux est normalement tendre et de couleur plutôt claire. Ces viandes sont commercialisées principalement dans les grandes surfaces et dans quelques boucheries du littoral.

Entre ces types, on trouve tout en éventail de produits aux caractéristiques diverses.

Nous retrouvons, par exemple, de nombreux veaux, souvent croisés, élevés en montagne, avec une complémentation avec de l'aliment commercial et abattus au moment du sevrage. D'autres veaux, aux caractéristiques similaires, sont sevrés et engraissés pendant deux à trois mois en enclos. Souvent, il ne s'agit plus alors de veaux de 6 à 8 mois, mais plutôt des broutards élevés jusqu'à 15 mois.

On rencontre également des veaux élevés en plaine, en liberté, et issus des croisements entre vaches déjà croisées et taureaux de race continentale. Pendant leur période de croissance, ces veaux reçoivent souvent l'apport d'aliments commerciaux. Ils sont abattus au sevrage et vendus dans les grandes surfaces ou les boucheries du littoral. Les excédents et ceux qui sont déclassés sont vendus dans les réseaux halal.

On retrouve le cas particulier, déjà évoqué plus haut, des veaux produits au sein de l'association de l'extrême-sud, à Porto-Vecchio, élevés sans apport d'aliments commerciaux. C'est un type de veau très proche de celui produit dans les régions du littoral lors de l'importation des diverses races "amélioratrices" à partir de la décennie 1930 et réactivée dans les décennies 1970 et 1980.

Sous la même dénomination, on trouve enfin des veaux qui sont élevés depuis la naissance plus ou moins enfermés à l'intérieur de bâtiments. Il s'agit des veaux souvent croisés, ou de race pure continentale, élevés dans des exploitations installées aussi bien en coteaux qu'en plaine, qui ne sortent du bâtiment que pour téter dans des enclos proches du bâtiment. Ce produit pourrait être appelé veau de lait. Le couleur de la viande varie selon le type de complément alimentaire utilisé, entre rose clair et rouge clair.

Au niveau commercial, il faut signaler un dernier produit vendu sous la dénomination "veau corse". Il s'agit de veaux, voire de broutards, importés sur pied (provenant de la France continentale) et abattus en Corse. Dans d'autre cas, il s'agit simplement des arrières de carcasses de veaux produits et abattus sur le continent.

Conclusion

Ainsi donc, la dénomination "veau corse" apparaît bien comme ayant évolué avec les systèmes de production. Mais, c'est apparemment une dénomination porteuse et valorisante d'un point de vue commercial puisque nombreux sont les producteurs qui cherchent à l'utiliser.

Aujourd'hui, nous retrouvons donc une large gamme de produits sous la dénomination de "veau corse": d'abord des produits qui pourraient être qualifiés de "typiques". Il s'agit des veaux et broutards, issus de la population locale de bovins (et de ses croisements) et provenant d'élevages "extensifs", à l'alimentation traditionnellement complémentés en foin. Une des différences entre la plupart des veaux et manzi commercialisés actuellement et ceux élevés jusqu'aux années 1980, est l'utilisation d'aliments commerciaux dans leur élevage. Traditionnellement, la diète des bovins était complétée par l'incorporation de foin.

Ces produits sont commercialisés majoritairement dans les réseaux informels car dans les réseaux commerciaux "formels", ces veaux sont souvent disqualifiés à cause d'une conformation déficiente des carcasses, et dans le cas des manzi à cause d'une coloration sombre de leur viande.

Dans les réseaux commerciaux "formels", on trouve majoritairement des veaux et des broutards issus de croisements à forte composante de génétique "continentale", avec une alimentation basée sur des apports importants d'aliment commercial et de foin.

Compte tenu des éléments exposés plus haut, il semblerait logique de qualifier de "traditionnels", et donc de leur réserver la dénomination "veau corse", les produits de la première catégorie38.

Cela dit, il importe de valoriser les autres produits de l'élevage contemporain, nés, élevés et abattus en Corse, et résultant des techniques de production généralisées plus récemment. Ces systèmes d'élevage, comme les pratiques propres aux éleveurs de Corse, apportent certainement des caractéristiques particulières et une certaine spécificité aux viandes produites en Corse. Dans ces conditions, cette origine géographique pourrait donc aussi être mise en avant.

Les réglementations nationale et européenne sur l'utilisation des dénominations géographiques sont certainement susceptibles de permettre des solutions qui satisfassent les différentes catégories de producteurs, en même temps qu'elles installent une meilleure lisibilité par rapport aux types de produits offerts.

Rester aux professionnels locaux à se mettre d'accord sur des objectifs de production et des définitions qui permettent de valoriser cette origine de leurs produits, particulièrement par rapport à des marchandises de plus en plus massivement importées pour faire face à la demande des différents marchés de l'Île.

Notas
1 SIAL es definido en términos de "organizaciones de producción y de servicios (unidades de producción agrícola, empresas agroalimentarias, comerciales, de servicios, gastronómicas...) asociadas por sus características y su funcionamiento a un territorio específico. El medio, los productos, las personas, sus instituciones, su saber hacer, sus comportamientos alimentarios, sus redes de relaciones se combinan en un territorio para producir una forma de organización agroalimentaria en una escala espacial dada" (Muchnik y Sautier: 1998).
2 Une description fine de la distribution spatiale de cette pratique est présentée par Renucci, 1974.
3 Ces déplacement s'effectuaient soit à dos de mulet soit à pied.
4 Entretien réalisé à Corté, le 15/01/2003.
5 Entretien réalisé à Corté, avec un éleveur, le 15/01/2003
6 Entretien avec un ancien éleveur-boucher, Corté, 19/06/02.
7 Sur les 3 000 vaches laitières, 500 seulement sont de race sélectionnée (Renucci, 1974: 219).
8 Robe que l'on retrouve aussi dans d'autres espèces locales tel que le réputé chien corse tigré ("turchatu") et chez le sanglier ("sainatu").
9 La région la plus réputée pour la production de ce type de bovin est le canton d'Olmi Cappella.
10 L'ethnologue G. Ravis-Giordani, met en évidence que la consommation de viande bovine (citée comme "bœuf") est limitée à des circonstances exceptionnelles telles que les fêtes ou les accidents dans le troupeaux (Ravis-Giordani, 1983: 293).
11 La dénomination en termes de viande "de bœuf" peut relever du manque d'information de la part de l'auteur: dans un premier cas, il peut s'agir d'une connaissance partielle de la filière, ce qui implique la méconnaissance de la consommation de viande de veau corse. La deuxième possibilité est que l'auteur ne fasse pas la différence entre les deux types de viande.
12 Communication orale du grossiste de viande le plus ancien de Bastia.
13 D'après les deux principaux grossistes situés sur le port de Bastia.
14 Dans les milieux ruraux, on appelle "maquignons" les intermédiaires qui achètent des bovins sur pied pour les revendre, après finition ou non, aux acteurs chargés de l'abattage et de la mise en marché.
15 "Le bétail est vendu d'août à juillet lorsqu'il est mis "en état" par l'herbe dans la région du littoral et des coteaux, de juillet à septembre - novembre dans la région des hautes vallées. En dehors de ces saisons, il est peu apprécié des bouchers qui tendent à préférer les animaux du continent" (Carlotti, 1936: 276).
16 Ceux-ci deviendront plus nombreux à partir des années 1950
17 "Dans les périodes d'hiver, les bouchers se consacrent aussi à la fabrication de produits de charcuterie, car la population locale remplaçait la viande de veau par celle d'animaux élevés en basse-cour tels que poules, lapins et porcins". Entretien avec un ancien boucher de Castagniccia, Corté 15/01/2003.
18 A différence des bovins destinés au travail de trait, ces veaux n'étaient pas châtrés pour obtenir un animal docile mais pour éviter qu'il n'entre en chaleurs pendant la période d'engraissement. La pratique de la castration des veaux à l'âge d'un an, était davantage répandue dans les montagnes où l'offre fourragère est très limitée.
19 La mise en valeur de ces terres n'intéresse pas les éleveurs, étant donné que "mettre en culture une parcelle entraînait une augmentation du loyer de la terre pour l'année suivante"[19].Notons que la plupart des terrains sont pâturés sans qu'il existe pour autant un contrat écrit. En effet, une grande partie des accords entre les éleveurs et les propriétaires de la terre sont verbaux.
20 à l'époque, la Corse constituait un seul et unique département
21 La diminution des effectifs totaux de bovins dans les statistiques officielles corses peuvent connaître deux explications. La première est effectivement celle d'une diminution d'effectifs dans l'ensemble des troupeaux insulaires. La deuxième serait basée sur le fait que le délaissement des troupeaux fait que les bovins en divagation ne son plus recensées. En fait, une explication basée sur une combinaison des deux phénomènes peut être aussi envisagée.
22 ANPAR (Association Nationale pour la Promotion des Entreprises dans l'Aménagement Rural), 1985, p 15.
23 "..C'est en milieu rural et parmi les familles nombreuses que le congélateur est le plus répandu ... pour certaines catégories de ménages le taux d'équipement dépasse 50 % : les agriculteurs exploitants (58 %), les ménages d'au moins cinq personnes ou ceux dont le revenu mensuel excède 12 000 francs " In Economie Corse, 1989: 5.
24 D'après les chiffres estimés par l'ANPAR, pour la Corse-du-Sud, cette modalité de vente concerne 11 % des viandes locales commercialisées. Etant donné qu'elle est plus fréquente en Haute-Corse, nous estimons que les ventes directes à la ferme aux foyers corses de souche représentent près de 15 %.
25 Economie Corse, n° 47, 1989, p 46. Dans le même article est souligné qu'entre les années 1980 et 1988, les communes équipées avec des super et hypermarchés est passé de 16 à 31 (p 47).
26 Chiffres estimées par l'ANPAR pour la Corse-du-Sud. D'ailleurs, les techniciens de l'ANPAR font la différence entre le "boucher abatteur", dont l'approvisionnement en viandes provenant du continent représente 45 % des viandes commercialisées et le "boucher distributeur", dont les viandes importées représentent 82 % (1985: 229).
27 A ce sujet, une première question s'impose : Comment une telle augmentation statistique est-elle possible ?. Comment expliquer une augmentation de 48 % de la population de bovins en cinq ans, constatée dans les premières années d'application de ces mesures ? On peut alors imaginer que le nouveau contexte légal a stimulé la déclaration des bovins que ne l'étaient pas auparavant pour diverses raisons, entre autres, fiscales. Cela dit, une des grandes explications de cette évolution du troupeau semble liée à l'élevage d'une grande partie des génisses sevrées chaque année, alors qu'elles étaient abattues auparavant.
28 "u manzu" au singulier.
29 Dans cette analyse, nous ne tiendrons pas compte des actions organisées autour du transport des bovins sur pied et des carcasses, car, même s'il s'agit d'un sujet particulièrement important dans l'évolution de la filière au niveau local, il n'a que des conséquences marginales sur la définition de la qualité des veaux.
30 De notre propre estimation sur la base des informations fournies par les responsables des Associations d'éleveurs et par les détaillants.
31 Données fournies par la Direction Départementale de l'Agriculture et de la Forêt de Haute Corse, sur la base des Recensements Agricoles 1979, 1988 et 2000.
32 Cela est vrai aussi dans le cas de certains éleveurs effectuant la vente directe aux détaillants.
33 L'absence de gestion collective de la "race corse" est certainement à l'origine d'une disparition accélérée de la population locale de bovins par une croissance exponentielle des croisements non dirigées avec les races continentales.
34 Cette situation change partiellement à partir la constitution, fin e 2002, d'une association régionale dénommée Corsica Vaccaghja rassemblant une partie non négligeable des associations départementales existantes. Cette association se charge notamment de la promotion des viandes bovines corses.
35 Cette 'augmentation du déficit est le résultat d'une forte augmentation du gabarit des vaches et donc des besoins alimentaires des troupeaux, accompagnées d'une faible augmentation de la production fourragère (limitée à la zone de plaine). En montagne et en coteaux, la persistance du problème des incendies contribue à la dégradation des ressources fourragères.
36 La part des éleveurs à temps complet qui se consacrent à l'élevage de bovins est passée de 32 % en 1978 à 61 % en 1997 (Agreste- Corse Agri- Atlas des Filières Agricoles de Corse, Contribution au Contrat de Plan 2000- 2006: 83).
37 Dans le cas d'accès facile, cette opération peut être réalisée tous les jours à partir du moment où la disponibilité de fourrage en montagne dévient limitée (généralement dans le courrant du mois de septembre).
38 Des études historiques plus approfondies sur l'élevage des bovins, pourraient apporter de nouveaux éléments permettant établir d'autres critères de détermination de la typicité des produits issus de l'élevage des bovins en Corse.

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Fecha de Recepción: 02 de noviembre de 2009
Fecha de Aprobación: 02 de julio de 2010